Un an après son déroulement, cet article revient sur le colloque international célébrant les 220 ans de la bataille de Vertières. Du 14 au 16 novembre 2023, historiens, chercheurs et étudiants ont analysé la contribution d’Haïti à la lutte pour l’émancipation des peuples face à l’esclavage.
« Ayiti manman libète» se traduit en français « Haïti, mère de la liberté ». Tel est le sujet de la conférence d’ouverture du colloque international sur la « Contribution d’Haïti à l’émancipation des peuples dans le cadre de la lutte contre l’esclavage ». C’est Frantz Voltaire, historien et professeur à l’Université, qui a présenté cette conférence. Son intervention était centrée sur « l’importance de la Révolution haïtienne et les problèmes relatifs à la construction d’un nouvel État ».
L’historien Frantz Voltaire a mis l’accent sur la signification du 18 novembre 1803 dans l’histoire d’Haïti et de l’humanité. « C’est la date de la victoire des troupes indigènes sur celles de la France », a-t-il précisé. Cette victoire a marqué le début de la constitution d’Haïti, selon le professeur qui explique pourquoi celle-ci est considérée comme la mère de la liberté.
«La révolution anti-esclavagiste d’Haïti (1791-1804) a marqué un point important dans l’histoire de l’humanité. C’est la seule révolution qui a réussi à mettre fin à l’esclavage. C’est également en raison de cela que ce pays a été stigmatisé ou encore mis à l’écart par les puissances colonialistes », indique l’auteur de « Pouvoir noir en Haiti».
Haïti a obligé les puissances esclavagistes à réfléchir sur le maintien de ce mode d’exploitation, selon le professeur. Elle a également poussé les historiens et philosophes de l’époque à réfléchir sur la signification de cette révolution. « Dans toutes les Caraïbes, à la fois dans les classes dominantes, ils se sont mis à penser sur comment éviter d’autres révolutions comme celle de Saint-Domingue (Haiti) », a-t-il souligné.
M. Voltaire, en faisant référence à une revue qu’il a publiée sur les « Impacts de la révolution haïtienne dans le monde Atlantique », montre que cette révolution a un caractère d’exemplarité de grande importance par rapport aux deux autres grandes révolutions du 18e siècle, à savoir celles des États-Unis et de la France. Dans sa radicalité, la révolution d’Haiti a mis en question le système esclavagiste.
L’indépendance de Saint-Domingue (Haiti) a marqué un autre point important. Pour cet historien, les nouveaux libres, en adoptant le nom d’Hayiti au lieu de l’Empire de Saint-Domingue qui représente la servitude, ont rompu avec l’ancien système et ont fait preuve d’un désir de construire un nouvel État avec la reconnaissance de l’origine indigène. « De plus, le pays a été ouvert à tous ceux qui voulaient obtenir la citoyenneté haïtienne, y compris tous les peuples opprimés de l’Amérique», précise-t-il.
Le professeur Voltaire affirme que ce nouvel État n’était pas simplement la continuité d’un État préexistant qui avait repris son indépendance, mais il représentait la rupture avec ce mode d’exploitation. Les pays colonialistes se demandaient : «Comment reconnaître l’existence d’Haïti ?».
Le nouvel État et ses problèmes
Haïti, après son indépendance le 1er janvier 1804, a dû faire face à une série de problèmes, d’après le professeur Voltaire qui souligne, entre autres, ceux relatifs à la construction d’un nouvel État et sur quelles base, l’organisation de la défense de ce nouvel État, le relancement de l’économie nationale et l’établissement des relations avec les autres pays.
Selon Frantz Voltaire, l’élite haïtienne, issue de l’Armée et arrivée au pouvoir après la guerre de l’indépendance, n’avait aucun modèle. Elle se trouvait face à la lourde tâche de construire un nouvel État et choisir quel type d’institutions mettre en place. On a proclamé Jean-Jacques Dessalines Gouverneur Général. Après l’assassinat de ce dernier le 17 octobre 1806, Haïti a fait face à une guerre civile. Le pays était divisé en trois (3) : le Nord, l’Ouest et le Sud.
«Les anciens libres « de couleur » qui contrôlaient l’Ouest et le Sud ont choisi un modèle américain. Le Nord dirigé par Henri Christophe, a opté pour le modèle anglais». Le professeur Voltaire fait savoir que ce problème a traversé toute l’histoire d’Haïti et est toujours d’actualité. C’est l’échec des élites qui n’arrivent pas à construire un État de Droit ni coïncider l’existence de la nation avec l’État.
En ce qui concerne la défense nationale, elle a une conséquence économique sur Haïti. En effet, la défense du territoire dépendait essentiellement de l’extérieur parce que le pays était dépourvu d’industries.
Le relancement de l’économie nationale
« Relancer l’économie du pays était un problème majeur qui se dressait devant les dirigeants haïtiens », a dit le professeur. À en croire Monsieur Voltaire, dans la société coloniale, on avait une économie d’exportation. Après la guerre, on avait une société dépourvue des conditions de production. Et, la question relative au relancement de l’économie du pays avait soulevé des divergences majeures concernant le type de production qu’on devait lancer.
Comment et avec qui lier des relations ?
Il s’agit d’une question importante pour toute révolution triomphante. Comment et avec qui établir des relations ? Dans le cas d’Haïti, Dessalines et Pétion se sont tournés vers des rapports avec l’Amérique latine. Ils voyaient dans la libération de l’Amérique latine la possibilité d’établir des relations différentes. Or, raconte M. Voltaire, en 1821, Haïti était écartée du congrès du Panama.
En 1825, les dirigeants ont pris la décision de négocier la reconnaissance du nouvel État avec la France. Ils étaient obligés de payer aux Français une dette équivalant à plusieurs milliards de dollars, ce qui limitait toute possibilité de développement pour Haïti, jusqu’au 20e siècle. Par la suite, deux questions ont traversé le pays dans les relations internationales durant tout le 19e siècle. Il s’agit des questions de la réparation et de la restitution.
Un État de droit pour tous les Haïtiens
Au final, pour l’Haïti d’aujourd’hui, M. Voltaire considère la construction du canal sur la Rivière Massacre comme un bon début d’unification de la population haïtienne pour le relancement de l’économie sur de nouvelles bases, notamment la production nationale à travers le développement de l’agriculture et celui des petites et moyennes industries. Cela, renchérit-il, implique une autre question : « Comment récupérer notre force de travail, notre force intellectuelle et scientifique au bénéfice d’Haïti ?»
Pour le Directeur de la Revue d’Histoire Haïtienne, la question fondamentale est la construction d’un État de droit pour tous les Haïtiens. Depuis l’indépendance à nos jours, le professeur note que l’élite haïtienne n’arrive pas encore à construire cet État de droit indispensable pour la survie d’Haïti face aux tensions du monde. Il croit que les dirigeants haïtiens doivent réfléchir sur comment obtenir des formes d’autonomie, comment négocier et redéfinir les rapports avec l’international dans un cadre géopolitique où on a une puissance dans la région.
« Nous devons faire ces exercices en fonction de nos intérêts en tenant compte du contexte géopolitique. Nous devons réfléchir sur comment et quel type de relations entretenir avec la République Dominicaine, les États-Unis, l’Angleterre, la Chine, l’Union européenne et l’Amérique latine », conclut M. Voltaire, Directeur du Centre d’Information et de Documentation Haïtienne et Afro-canadienne (CIDIHCA).
Rappelons que le colloque précité a été réalisé, les 14, 15 et 16 novembre 2023, à l’hôtel Montana, Port-au-Prince, sous le patronage du Rectorat de l’UEH et du MAEC, en collaboration avec l’Institut d’Études et de Recherches Africaines d’Haïti (IERAH) et la Chaire UNESCO en Histoire et Patrimoine de l’UEH. Durant ces trois jours, des historiens haïtiens et étrangers ont débattu plusieurs autres sujets relatifs à l’importance de la révolution haïtienne. Des professeurs et étudiants de diverses universités du pays ont pris part à cet évènement hybride organisé en prélude à la commémoration de du 220ème anniversaire de la bataille de Vertières.
Shelovenie Jean