Ma mère a cent-deux ans. Elle ne mourra pas. Elle en a ainsi décidé. Je respecterai sa volonté. Elle a encore plein de rendez-vous avec des gens de l’entourage, ses protégés auxquels elle ouvre ses bras, matin, midi et soir. Elle sait à qui parler, comment le faire, comment parfois se taire et signifier sa colère.
Depuis vingt ans, elle ne cesse de voyager, en Floride ou à New York, sous prétexte de consultations médicales, qu’elle effectue en fait, pour fonder la raison évoquée, mais sa visée finale, habilement cachée, est de ramener de ses pérégrinations, trois valises de vêtements, sous-vêtements, chaussures, colifichets et bonbons, aux gens de son cœur. Fort souvent, le coût excédentaire des colis dépasse de cinq fois la valeur réelle du contenu :
– C’est moi qui paie, s’exclame-t-elle!
Le choix fait, n’ayant pas de prix, s’associe aisément à la beauté du geste.
Quelquefois, elle entend roder la mort dans les parages. Elle baisse timidement la tête, ferme les yeux et dit tout bas:
– Ne frappe pas à ma porte. Continue ton chemin. J’ai beaucoup à faire.
Ses yeux s’ouvrent lentement, tristes, hagards. Et soudain, par un large sourire, elle accueille le retour du soleil.
Syto Cavé – mars 2020 – Péguyville