À l’occasion du premier anniversaire du colloque international sur la Contribution d’Haïti à l’émancipation des peuples, nous revenons sur la conférence captivante de Dr Leslie Alexander, professeure à Rutgers University. Elle avait démontré comment la révolution haïtienne a influencé les mouvements de libération des Noirs, notamment aux États-Unis, en devenant une source d’inspiration clé dans la lutte contre l’esclavage et le racisme.
Le colloque international, organisé par le Rectorat de l’Université d’État d’Haïti (RUEH) en collaboration avec le Ministère des Affaires étrangères et des Cultes (MAEC), a eu lieu du 14 au 16 novembre 2023 à l’hôtel Montana, à Port-au-Prince. Il avait pour objectif de mettre en lumière la contribution d’Haïti à l’émancipation des peuples, notamment dans le cadre des luttes contre l’esclavage.
Parmi les moments marquants de cet événement, la conférence donnée par le Dr Leslie Alexander, professeure d’Histoire des Afro-Américains à Rutgers University aux États-Unis, a capté l’attention du public. Intitulée « L’influence de la révolution haïtienne dans les mouvements de libération des noirs-américains », son intervention a mis en exergue les répercussions profondes de la révolution haïtienne sur les mouvements d’émancipation des Noirs, en particulier aux États-Unis.
Dr Alexander a démontré que la révolution haïtienne n’était pas un simple événement localisé, mais un tournant majeur pour l’ensemble des peuples opprimés, notamment les populations noires à travers le monde. Selon elle, la portée de cette révolution dépasse largement les frontières de Saint-Domingue (l’actuelle Haïti), en influençant profondément les luttes pour la liberté et l’égalité des Afro-descendants.
Le combat des esclaves haïtiens pour leur libération a fait écho à travers l’hémisphère occidental, inspirant des mouvements similaires, en particulier aux États-Unis, où des révoltes d’esclaves d’une envergure inédite ont vu le jour. Dr Alexander a souligné que ces révoltes furent largement influencées par l’exemple d’Haïti, devenu un symbole de résistance et d’espoir pour les Noirs.
Dans sa conférence, elle a mis en avant les tentatives, souvent délibérées, d’effacer ou de minimiser l’importance de la révolution haïtienne dans l’histoire mondiale. Elle a expliqué que cette révolution, bien plus inclusive et progressiste que celles de la France ou des États-Unis, constituait un véritable défi pour l’ordre colonial et esclavagiste de l’époque.
Contrairement aux révolutions européennes et américaines, qui se concentraient principalement sur la liberté et l’indépendance des nations blanches, la professeure a rappelé que la révolution haïtienne se distinguait par sa lutte explicite contre le racisme et l’oppression des Noirs. Cela en fait, selon Dr Alexander, la révolution la plus authentique et la plus complète.
Elle a également rappelé que l’établissement d’une Haïti souveraine a profondément marqué l’imaginaire des Noirs américains. Ceux-ci voyaient en Haïti non seulement une source d’inspiration, mais un modèle concret à suivre.
À en croire Leslie Alexander, l’indépendance d’Haïti, en 1804, marqua la première fois dans l’histoire moderne qu’une colonie majoritairement peuplée d’esclaves réussissait à renverser ses oppresseurs et à fonder une république libre, sans distinctions de race. Cette victoire résonnait chez les Afro-Américains, encore soumis à l’esclavage, qui cherchaient à échapper à la tyrannie. Haïti représentait un refuge, un « eldorado » potentiel pour les Noirs en quête de liberté et de dignité. Mme Alexander a d’ailleurs évoqué les nombreux projets d’émigration vers Haïti portés par des Afro-Américains désireux de fuir l’oppression raciale aux États-Unis.
Les lourdes conséquences économiques de l’indemnité versée à la France
Cependant, ces aspirations ont été en partie entravées par les lourdes conséquences économiques de l’indemnité versée par Haïti à la France après son indépendance. Ce fardeau financier, a soutenu la conférencière, a ralenti l’élan de ces projets d’émigration et freiné le développement économique du jeune État haïtien, compliquant ainsi son rôle de terre d’accueil pour les Noirs américains. Malgré tout, l’impact symbolique d’Haïti a perduré, continuant à inspirer des générations de militants afro-descendants. Les luttes contre l’esclavage, le colonialisme et le racisme ont souvent puisé dans l’exemple haïtien.
L’intervention du Dr Leslie Alexander a donc permis de rappeler que l’histoire de la révolution haïtienne et celle des mouvements de libération des Noirs sont intimement liées. Elle a insisté sur le fait que l’écho de cette révolution continue de se faire sentir à travers les luttes contemporaines pour la justice et l’égalité. De plus, elle a affirmé que, malgré les efforts historiques pour occulter cette révolution, son impact reste indéniable. Haïti a non seulement contribué à façonner le discours autour de la liberté et de l’égalité, mais elle a aussi posé les fondations d’un mouvement panafricaniste, prônant l’émancipation globale des Noirs.
Ce colloque international, organisé par le RUEH et le MAEC, a offert une plateforme pour réfléchir sur le rôle central d’Haïti dans l’histoire mondiale des luttes contre l’esclavage. Pendant trois jours, historiens, chercheurs et universitaires venus des quatre coins du globe se sont réunis pour partager leurs perspectives et leurs recherches. Les discussions ont abordé divers thèmes, tels que l’émancipation des peuples, l’héritage durable de la révolution haïtienne et les défis liés à la mémoire de l’esclavage.
Par la qualité des interventions et l’ampleur des débats, ce colloque a réaffirmé la place essentielle d’Haïti dans l’histoire des luttes pour la liberté et l’égalité. La conférence du Dr Alexander, en particulier, a rappelé combien la révolution haïtienne demeure un point de référence incontournable dans les mouvements de libération des Noirs à travers le monde, notamment aux États-Unis. Il a permis de comprendre que, loin d’être une simple anecdote historique, la révolution haïtienne continue de nourrir les espoirs et les combats des populations noires pour leur émancipation, hier comme aujourd’hui.
Shelovenie JEAN