À l’occasion du premier anniversaire du colloque international organisé par le Rectorat de l’Université d’État d’Haïti (RUEH) et le Ministère des Affaires Étrangères et des Cultes (MAEC), cet article revient sur les moments marquants de cet événement, qui a mis en lumière l’impact de la Révolution haïtienne sur les luttes d’émancipation à travers le monde.
L’Université d’État d’Haïti et le Ministère des Affaires étrangères ont tenu, du 14 au 16 novembre 2023, un colloque international à Port-au-Prince sur la contribution d’Haïti à l’émancipation des peuples, en mettant l’accent sur le thème de la lutte contre l’esclavage. Parmi les intervenants, le Dr Alex Dupuy, professeur émérite de sociologie à la Wesleyan University, a présenté une conférence sur l’indemnité que le pays a versée à la France pour la reconnaissance de son indépendance.
L’indemnité qu’Haïti avait versée à la France en 1825 a lourdement pesé sur l’économie haïtienne pendant le XIXe siècle. Le Dr Alex Dupuy a proposé deux perspectives distinctes sur cet événement historique.
La première lecture suggère que la décision d’Haïti de verser cette indemnité ne découle pas simplement d’une crainte d’une agression militaire française, mais plutôt de circonstances politiques complexes. En 1814, des émissaires français ont été envoyés en Haïti pour rappeler le roi Henri Christophe et le président Alexandre Pétion à la soumission à la France. Cette exigence a été fortement rejetée par Christophe, qui a fait emprisonner l’émissaire. En revanche, Pétion a proposé de compenser les anciens propriétaires d’esclaves en versant une indemnité. Cette initiative visait à établir une relation diplomatique avec la France, permettant à Haïti de conserver son indépendance tout en apaisant les tensions avec l’ancienne puissance coloniale.
Le Dr Dupuy souligne ensuite que, sous la présidence de Jean-Pierre Boyer, qui a succédé à Pétion en 1818, la stratégie de dédommagement des anciens propriétaires a été maintenue. Boyer, confronté à des pressions continues de la France pour une réinstauration de sa souveraineté, a, en 1824, accepté de verser une indemnité pour garantir la reconnaissance internationale d’Haïti. Ce choix était stratégique, visant à protéger l’indépendance nouvellement acquise.
La deuxième lecture que propose le Dr Dupuy conteste l’idée selon laquelle cette indemnité a été la principale cause des difficultés économiques d’Haïti. Au contraire, il argumente que le véritable frein au développement économique réside dans l’incapacité des gouvernements haïtiens successifs à exproprier les petits propriétaires terriens pour rétablir un système de plantation à grande échelle, semblable à celui de l’époque coloniale. En effet, l’agriculture de plantation était essentielle pour le développement économique à cette époque, car elle aurait permis d’exporter des produits comme le café et le sucre, générant ainsi des revenus indispensables. Cependant, les dirigeants haïtiens ont été réticents à adopter une telle politique, souvent par crainte de mécontenter les paysans et d’aggraver les tensions sociales.
Parallèlement, Dupuy souligne les conflits internes qui ont caractérisé la politique haïtienne post-indépendance. Ces luttes de pouvoir entre les factions des classes dominantes ont non seulement entravé une gouvernance cohérente, mais ont également mené à une instabilité politique chronique. Les gouvernements successifs ont été plus préoccupés par la lutte pour le contrôle de l’État et ses prébendes que par la mise en œuvre de politiques économiques durables. Ainsi, la fragmentation des élites et leur incapacité à établir un consensus sur les priorités économiques ont exacerbé la situation.
Le remboursement complet de l’indemnité n’a été finalisé qu’en 1883 sous la présidence de Lysius Salomon, ce qui a eu des conséquences dévastatrices sur les finances de l’État haïtien. Pendant cette période, Haïti a continué de faire face à des défis économiques persistants, qui ont entravé son développement et aggravé sa situation.
Il est important de rappeler qu’Haïti a entrepris, il y a plusieurs années, diverses initiatives pour réclamer la restitution de cet argent. À cet égard, le pays a mis sur pied le Comité National Haïtien sur les restitutions et réparations, qui travaille activement pour faire valoir ses droits et obtenir une reconnaissance des préjudices subis.
Le colloque a ainsi permis de mettre en lumière non seulement le poids de l’indemnité dans l’histoire d’Haïti, mais aussi les luttes internes qui ont marqué la gouvernance du pays après l’indépendance. En réunissant historiens, universitaires et chercheurs, cet événement a encouragé des échanges sur des thèmes variés, allant de l’héritage de la Révolution haïtienne aux défis contemporains liés à la mémoire de l’esclavage.
En définitive, la conférence du Dr Dupuy a réaffirmé la place centrale d’Haïti dans l’histoire des luttes pour la liberté, tout en révélant les complexités de son parcours post-colonial.
Ainsi, ce colloque, par son ampleur et la qualité des interventions, a servi de plateforme pour réévaluer et redéfinir la contribution d’Haïti à l’émancipation des peuples. Les discussions ont offert des perspectives enrichissantes sur les enjeux contemporains liés à l’histoire de l’esclavage et aux luttes pour la justice sociale.
Shelovenie JEAN