Cet article est publié à l’occasion du premier anniversaire du Colloque International sur la Contribution d’Haïti à l’Émancipation des Peuples dans le cadre de la Lutte Globale contre le Colonialisme et l’Esclavage, organisé par l’Université d’État d’Haïti (UEH) et le Ministère des Affaires Étrangères et des Cultes (MAEC).
À l’initiative du Rectorat de l’Université d’État d’Haïti (RUEH) et du Ministère des Affaires étrangères et des Cultes (MAEC), un colloque international s’est tenu à l’hôtel Montana du 14 au 16 novembre 2023. Le thème de cet événement était : « Contribution d’Haïti à l’émancipation des peuples dans le cadre de la lutte contre l’esclavage ». Le jeudi 16 novembre, le Docteur Jean Eddy Saint Paul, professeur de sociologie politique à Brooklyn College, a présenté une conférence intitulée : « An n fouye rasin Revolisyon Ayisyen an », faisant référence aux racines de la révolution haïtienne de 1791 à 1804.
Le professeur de sociologie, Dr Jean Eddy Saint Paul, affirme que la révolution haïtienne, parmi toutes les révolutions qui ont eu lieu dans le contexte de la modernité occidentale, reste le seul événement qui, d’un point de vue philosophique, anthropologique et sociologique, a poussé au plus haut niveau l’idée des droits humains et de la dignité humaine. Selon lui, cette révolution s’est éloignée du colonialisme et des idées racistes qui soutenaient que certains groupes pouvaient maintenir d’autres groupes en esclavage.
Dr Saint Paul précise qu’il est impossible de parler de décolonisation sans évoquer la révolution haïtienne. Cependant, malgré l’importance de cet événement politique qui a modifié la dynamique sociale de l’Occident, les puissances occidentales ont mis en place des tactiques pour marginaliser la révolution haïtienne.
Il souligne que des intellectuels européens s’inspirent des événements de la révolution haïtienne sans reconnaître le mérite des héros de l’indépendance haïtienne. Ces intellectuels mettent en avant les contributions de la révolution française et de la révolution industrielle à l’institutionnalisation de la sociologie, tout en restant silencieux sur le rôle crucial de la révolution haïtienne dans la modernité occidentale.
Pour Dr Saint Paul, la révolution haïtienne est au centre de la modernité occidentale, mais elle s’oppose également à des pathologies telles que le racisme et l’esclavage, que les intellectuels occidentaux ont normalisées.
Il note que la révolution de Saint-Domingue, qui a donné naissance à l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804, intègre un ensemble de principes moraux et de valeurs tels que le respect de la dignité humaine, la fraternité et la solidarité. Cette solidarité s’étendait à ceux qui, à l’époque, étaient considérés comme inférieurs, comme les Noirs. Dr Saint Paul décrit cette révolution comme reposant sur une éthique de solidarité envers tous les opprimés.
Pour étayer son argument sur la compatibilité de la révolution haïtienne avec les principes de respect de la dignité humaine, Dr Saint Paul se réfère à la constitution de 1801, ratifiée sous la gouvernance de Toussaint Louverture. Le général Toussaint Louverture, un ancien esclave domestique devenu un stratège militaire et diplomatique brillant, a utilisé ses privilèges pour libérer ses frères et sœurs de l’esclavage. En juillet 1801, il a supervisé la ratification d’une constitution à Saint-Domingue, alors que l’esclavage était encore légitimé par le monde occidental et que la liberté était réservée à un petit groupe.
Sous le leadership de Toussaint Louverture, la constitution stipule dans ses articles 3, 4 et 5 : « Il ne peut exister d’esclaves sur ce territoire, la servitude y est à jamais abolie. Tous les hommes y naissent, vivent et meurent libres et Français. Tout homme, quelle que soit sa couleur, y est admissible à tous les emplois. Il n’y existe d’autre distinction que celle des vertus et des talents, et d’autre supériorité que celle que la loi donne dans l’exercice d’une fonction publique. La loi est la même pour tous, soit qu’elle punisse, soit qu’elle protège. »
Dr Saint Paul souligne que cette constitution représente une théorisation avancée du respect de la dignité humaine, condamnant l’esclavage et établissant Saint-Domingue, devenu Haïti, comme un précurseur d’une vision philosophique avancée sur la dignité humaine.
Il met également en avant la solidarité continentale d’Haïti avec les opprimés et sa participation dans la libération politique des peuples d’Amérique latine. Cette solidarité a contribué à l’indépendance de la Grande Colombie, qui inclut le Venezuela, l’Équateur, la Colombie et la Bolivie.
Bien que la majorité des combattants pour l’indépendance aient été d’origine africaine, le 1er janvier 1804, les ancêtres d’Haïti ont choisi un nom indigène, Haïti, plutôt qu’un nom français ou africain. Ce choix vise à maintenir dans l’imaginaire collectif le nom des indigènes et la mémoire des Taïnos, en reconnaissant que cette terre avait été habitée par d’autres avant eux et en se détachant de l’idée que la terre avait été donnée par Dieu. Pour Dr Saint Paul, la révolution haïtienne représente une forme de justice réparatrice et restaurative.
À noter que le colloque international sur la contribution d’Haïti à l’émancipation des peuples a été organisé à l’hôtel Montana, sous la direction du Rectorat de l’UEH et du MAEC, en collaboration avec l’Institut d’Études et de Recherches Africaines d’Haïti (IERAH), la Chaire UNESCO en Histoire et Patrimoine de l’UEH, l’UNESCO et la Société Haïtienne d’Histoire, de Géographie et de Géologie. Durant ces trois jours, soit 14, 15 et 16 novembre 2023, des historiens haïtiens et étrangers ont tous souligné, dans leur intervention, l’importance de la révolution haïtienne. Cet évènement hybride organisé en prélude à la commémoration du 220ème anniversaire de la bataille de Vertières a réuni des professeurs et étudiants de diverses universités du pays.
Shelovenie JEAN
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