Cet article est publié à l’occasion du premier anniversaire du Colloque International sur la Contribution d’Haïti à l’Émancipation des Peuples dans le cadre de la Lutte Globale contre le Colonialisme et l’Esclavage, organisé par l’Université d’État d’Haïti (UEH) et le Ministère des Affaires Étrangères et des Cultes (MAEC).
‹‹ Contribution d’Haïti à l’émancipation des peuples dans le cadre de la lutte contre l’esclavage » est le thème du colloque international organisé, les 14, 15 et 16, novembre 2023, à Port-au-Prince, sous le patronage du Rectorat de l’Université d’État d’Haïti (RUEH) et du Ministère des Affaires étrangères et des Cultes (MAEC). Ce, en prélude à la commémoration des 220 ans de la bataille de Vertières. Parmi les conférenciers ayant clôturé ce colloque figure l’historien français et britannique Jeremy Young, professeur à Valor International Scholars, Anseong, Corée du Sud. Il a présenté : « Haïti comme phare de la liberté ». Son intervention a porté sur le contexte historique remarquable du soutien d’Haïti à l’indépendance de l’Amérique latine au XIXe siècle.
L’historien Jeremy Young a souligné avant tout l’importance du thème : « Contribution d’Haïti à l’émancipation des peuples dans le cadre de la lutte contre l’esclavage ». Selon lui, il s’agit d’un thème à la fois opportun et profond qui nous invite à nous plonger dans les récits historiques d’une nation qui a émergé du colonialisme pour devenir enfin l’espoir pour les communautés marginalisées dans le monde entier.
Pour débuter sa conférence sur « Haïti comme phare de la liberté », il a souligné que la lutte d’Haïti contre l’esclavage, qui mena à son indépendance en 1804, avait profondément inspiré les nations latino-américaines en quête de libération des chaînes impérialistes de l’époque. Il a illustré ce propos en évoquant les liens entre des personnalités telles qu’Alexandre Pétion, Simon Bolivar et Xavier Mina. « Le rôle joué par Pétion dans la promotion pour l’abolition de l’esclavage et son aide à particulièrement Bolivar et Mina en support aux révolutions latino-américaines a illustré la contribution d’Haïti à l’émancipation des peuples dans le cadre de la lutte contre l’esclavage », a-t-il ajouté.
Le professeur a affirmé qu’Haïti, en tant que première nation noire indépendante au monde (1804), était devenue un symbole d’espoir et d’inspiration pour les populations opprimées de l’Amérique latine en quête de liberté face à la colonisation de l’Empire espagnol. Mais, a-t-il souligné, au-delà d’une influence idéologique et morale, se trouve aussi le soutien matériel et tactique d’Haïti orchestré par le Président Pétion.
Le soutien d’Haïti s’est révélé d’autant plus déterminant pour les révolutionnaires de l’Amérique du Sud. C’était pratiquement le seul soutien au logistique que les leaders révolutionnaires de l’Amérique latine avaient reçu d’une nation extérieure. « Les États-Unis ont fait la sourde oreille. La France en grande partie responsable du désordre en Amérique du Sud a fait plus ou moins pareil. Quant à l’Angleterre, il a soutenu de manière assez indirecte mais au final, il a fait la sourde oreille », a-t-il poursuivi.
Un moment crucial dans l’histoire de l’humanité
Selon Jeremy Young, la lutte pour la liberté à Saint-domingue (Haïti), entre 1791 et 1804, était un moment crucial dans l’histoire de l’humanité. « Avec sa libération de l’emprise du colonialisme, sa naissance comme première nation ayant subi l’esclavage, Haïti avait réaffirmé la promesse de la liberté que la révolution française ni celle des États-Unis n’ont réussi à aboutir », a-t-il précisé, rappellant qu’en 1804, l’esclavage était encore une réalité pour ces deux pays.
Le professeur a souligné que la révolution haïtienne était qualifiée de première révolution d’esclaves réussie, principalement motivée par des aspirations à obtenir la liberté, à accéder à l’égalité et à éradiquer le fléau de l’esclavage. Il a ajouté : « le succès de cette révolution avait brisé les chaînes de l’oppression coloniale et démontré que les individus considérés comme esclaves pouvaient se soulever avec succès contre leur oppresseur, établir un État autonome et l’autoadministrer de manière réussie. Cette réalisation remarquable était clairement une sorte d’inspiration pour les peuples opprimées du monde entier et un vrai espoir de la possibilité d’accès à l’autodétermination ».
Pour l’historien Young, cette révolution avait été un processus complexe et multidimensionnel ayant englobé non seulement la lutte pour l’indépendance politique mais aussi la lutte contre l’institution profondément enracinée de l’esclavage. « C’est une vraie révolution. Cette dernière avait brisé complètement la société qui existait auparavant dans le but de créer une société nouvelle. Ce qui a remis profondément en question les notions fondamentales de race, de pouvoir et de contrôle colonial qui étaient la norme au XVIIIe siècle ».
Les répercussions de la révolution haïtienne
L’historien francais et britannique Jeremy Young a présenté la transformation de Saint-Domingue (Haïti) en une nation indépendante comme un symbole d’espoir qui s’est répercuté assez rapidement dans la Caraïbe, une des régions profondément marquées par les inégalités sociales, matérielles et même des conditions humaines à cette époque. En effet, la révolte d’Haïti enflammait les rêves de liberté et d’indépendance des peuples opprimés.
« Les répercussions de la révolution haïtienne avait également résonné en Europe et aux États-Unis. Cette révolution avait suscité un dialogue international sur la question de l’esclavage et de la justice, ce qui avait fortement influencé la mobilisation d’un certain nombre de personnes en faveur de l’abolition d’abord de la traite négrière et dans un second temps de l’esclavage en général. L’Amérique latine, qui se trouvait à cette époque dans une grande période d’effervescence face à la domination coloniale espagnole, avait commencé à parler des idées de liberté et d’autodétermination », a-t-il dit.
L’intervenant a affirmé que le succès d’Haïti avait démontré que la lutte contre l’oppression coloniale et la quête d’indépendance étaient possibles. Cette influence d’Haïti se faisait sentir principalement auprès des populations serviles des colonies espagnoles et portugaises en Amérique latine.
Les personnes « de couleur » avaient saisi cette occasion pour exprimer leurs doléances à l’encontre de la classe dominante qui était considérée comme oppresseuse, ayant maintenu la porte de l’égalité complètement fermée. Le professeur a mis en lumière les liens ayant existé entre certains leaders de ces rébellions et des insurgés de Saint-Domingue. Des lettres avaient circulé entre ces personnes et des révolutionnaires haïtiens. Ce fut, selon lui, le cas pour José Leonardo Chirino, lors de sa rébellion, en 1795, à Coro, en Amérique du Sud.
Le soutien important d’Haïti aux populations opprimées de l’Amérique latine
« Plus tard, soit le 19 mai 1799, à Maracaibo, en Amérique, il y avait un autre soulèvement d’esclaves. Ces derniers ont suivi un plan élaboré par les révolutionnaires haïtiens en étroite coopération avec les hispano-américains dans le but d’exporter la révolution haïtienne dans la zone américano-caribéene. Dans ce plan figurait un point très important. C’était l’idée d’exporter l’abolition de l’esclavage. En effet, le Président Alexandre Pétion et Haïti étaient intéressés par l’idée d’exporter la révolution dans le but d’exporter l’idée de l’abolition de l’esclavage. C’était donc un soutien important dans l’émancipation des peuples opprimés », a fait savoir l’historien.
Le cas le plus célèbre qu’il a présenté était celui de Simon Bolivar, le héros de l’indépendance de la Colombie, du Vénézuéla, entre autres, qui après un premier échec était parti en exil en Jamaïque. Il n’avait reçu aucun soutien là-bas. « Par la suite, Bolivar avait décidé de se rendre en Haïti. Il a été reçu par le président Pétion en 1815. Ce chef d’État haïtien lui avait promis des armes, des munitions, des soldats, des marins, des bateaux et tout ce dont il avait besoin pour l’aider dans sa quête de l’indépendance en échange de deux promesses ».
En échange du soutien d’Haïti, le président Pétion a réclamé de Bolivar l’abolition de l’esclavage dans les territoires libérés en Amérique du Sud et la capture des navires ennemis espagnols. Le navire négrier capturé devrait être emmené en Haïti de manière à ce que les esclaves à son bord soient libérés.
Le conférencier a précisé que le deuxième soutien assez notable d’Haïti au révolutionnaire Xavier Mina du Mexique est peu connu parce que son expédition s’etait soldée par un échec.
« Dans les deux cas, il est question d’un soutien à la fois moral, matériel et financier d’Haïti assez important. Malheureusement Pétion est mort en 1818 et n’a pas pu voir le succès de Bolivar qui obtient l’indépendance de plusieurs pays de l’Amérique du Sud colonisés par l’Empire espagnol. La promesse de l’abolition de l’esclavage par Bolivar n’est pas tenue, alors que l’abolition de l’esclavage dans toute l’Amérique du Sud était le but principal du soutien d’Haïti », a conclu l’historien Jeremy Young.
Le colloque international sur la contribution d’Haïti à l’émancipation des peuples a été organisé à l’hôtel Montana, sous la direction du Rectorat de l’UEH et du MAEC, en collaboration avec l’Institut d’Études et de Recherches Africaines d’Haïti (IERAH), la Chaire UNESCO en Histoire et Patrimoine de l’UEH, l’UNESCO et la Société Haïtienne d’Histoire, de Géographie et de Géologie. Durant ces trois jours, soit 14, 15 et 16 novembre 2023, des historiens haïtiens et étrangers ont tous souligné, dans leur intervention, l’importance de la révolution haïtienne. Cet évènement hybride organisé en prélude à la commémoration du 220ème anniversaire de la bataille de Vertières a réuni des professeurs et étudiants de diverses universités du pays.
Shelovenie Jean
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