Haititweets publie ci-après l’allocution de Mme Chantal Volcy Céant lors du lancement du Club « GasonkoreFi » de l’Université Quisqueya (UNIQ). Cette initiative entre dans le cadre de la campagne LuipourElle de l’UNIQ, Port-au-Prince, Haïti. L’égalité du genre et Droits de la femme sont la toile de fond de cette allocution rendue publique, à l’occasion de la journée internationale des droits de la femme.
Depuis plus d’un siècle, les luttes menées sur bien de fronts pour la reconnaissance et le respect des droits des femmes n’ont cessé de marquer des progrès significatifs. La résolution prise en 1977 par l’Organisation des Nations Unies (ONU) d’y consacrer la date du 8 mars indiquait déjà toute l’importance que revêt la notion d’égalité du genre pour le bien-être de l’humanité.
Le droit de vote pour les femmes et l’accès à l’education pour les filles, droits inscrits dans la plupart des législations nationales, comptent parmi les réalisations historiques les plus remarquables en ce qui a trait à la promotion des droits des femmes dans le monde. Mais, il reste à concrétiser ces revendications avec efficacité dans tous les recoins de la planète où le poids des inégalités inhérentes au genre leur fait obstacle.
En fait, quand on souligne ces faits marquants, loin de rejoindre la bataille, certains esprits réfractaires préfèrent demander : « Que veulent elles encore? A quoi bon cette journée et pourquoi pas une journée pour les hommes ? »
La nature, par la distinction des sexes, s’évertue à garantir la pérennité de l’espèce. Un être humain nait garçon ou fille. Cependant, les sociétés humaines allaient généralement faire de leurs enfants des êtres socialement inégaux, par le biais de diverses constructions culturelles négatives quant aux rôles qui leur seraient attribués en tant qu’hommes ou femmes.
La maltraitance séculaire imposée aux femmes et aux filles est un phénomène quasi universelle. Ces dernières n’ont-elles pas ordinairement servi de tribu de guerre, les violences sexuelles figurant parmi les cruautés les plus atroces lors de conflits armés ? D’ailleurs, pour les sociétés actuelles, la recrudescence des cas de viol et d’abus sexuels n’est-elle pas un indicateur clair de leur dégénérescence.
On comprend alors que le principe des droits des femmes soit souvent lié à celui de la quête de la paix entre les nations. D’ailleurs, il se trouve à la base de la cohésion sociale, garant de l’existence même des communautés locales.
En ce sens, on est forcé de constater que les actions à l’échelle internationale ont tardé à porter de bons fruits, particulièrement dans des pays où sévit la pauvreté extrême, où foisonnent les formes les plus abjectes de discriminations sociales, comme c’est le cas en Haiti.
Ici, le non-respect des droits des femmes semble découler de la non-acceptation de l’égalité du genre – on pourrait même oser parler de « modélisation d’une approche inégalitaire systémique » dont les discriminations sexuelles ne seraient qu’un aspect et les traitements abusifs envers les femmes, rien qu’une forme particulière. La rectification d’un tel état de fait demeure une urgence pour la société haïtienne.
La femme haïtienne se retrouve à la tête d’un grand nombre de familles monoparentales, ce qui caractérise la structure sociale du pays. Aujourd’hui, elle est de moins en moins capable de prendre soin d’elle-même ou d’assurer la survie de ses petits.
Armer valablement ses enfants pour qu’ils construisent leur avenir, les voir contribuer à leur tour au développement national, de tels désirs sont devenus des songes auxquels elle n’ose plus rêver.
Pour sa part, la fille haïtienne, à tous les stades de sa croissance – fillette, jeune fille et femme adulte, manque d’encadrement social. Vieille femme, elle tombera victime de toutes sortes de précarité.
Certes, les institutions étatiques devraient offrir une protection sociale aux secteurs les plus faibles enfants, femmes, personnes à besoins spéciaux, vieillards, habitants des zones rurales. Peu performantes, elles peuvent être considérées actuellement comme inexistantes. Alors, les obligations de l’Etat tombent en lourds fardeaux sur les épaules des femmes mères, cheffes de prédilection des ménages.
Dans un pays effondré où le concept d’économie nationale s’est dématérialisé, la femme haïtienne n’aurait pour perspective que de voir ses filles reproduire le cycle infernal de la pauvreté, des inégalités et des abus – surtout si elles devenaient mères à un âge précoce.
En Haiti, la petite fille n’est pas vraiment protégée par le corps social-même dans sa famille, elle ne l’est pas; surtout quand cette dernière est modeste et que les conditions de vie y sont difficiles. C’est au sein du foyer qu’elle apprend à s’accommoder aux discriminations basées sur le genre comme aux différents abus dont les filles sont victimes, qu’ils soient physiques, moraux ou sexuels.
Souvent, elle tient le rôle de domestique par rapport aux mâles de la maisonnée. On lui inculque une vision d’elle-même qui suppose qu’elle serait venue au monde « à cette fin ››, c’est-à-dire en situation de service envers l’être de genre masculin, auquel elle serait inférieure.
Il faut aussi retenir l’effet inverse que produit un tel environnement sur le petit garçon qui sera conditionné, lui aussi, à se comporter en être supérieur par rapport à sa sœur, prototype idéal des femmes qu’il va rencontrer à l’avenir.
On ne peut non plus sous-estimer la place qu’occupe l’image de la mère aux yeux des enfants, surtout quand les situations extrêmes auxquelles elle doit faire face rapetissent son estime de soi.
Une personne humaine, marginalisée et réduite. Voilà, le modèle de femme haïtienne que risquent de retenir garçons et filles d’aujourd’hui, hommes et femmes de demain, pour les inspirer dans leurs agissements et comportements, dans leurs relations réciproques. Ainsi, les dés seraient déjà jetés dans le jeu incontournable des rapports entre hommes et femmes. Comment parler alors d’un avenir durable ?
Une situation d’inégalité de genre constitue une barrière aux droits des femmes à tous les échelons de la société : maîtres d’écoles ou chefs d’entreprises; Parlementaires ou Magistrats de Parquets ; Juges, policiers ou fonctionnaires de l’Etat. Tant que tous les acteurs, décideurs, responsables et exécutants, tant que tous les concernés n’auront pas appris les principes à l’école en les mettant en pratique dans leurs propres expériences de vie, la teneur des lois dictant les droits des femmes restera lettre morte. Tout changement social valable restera inopérant.
Si aujourd’hui on préconise l’égalité pour un avenir durable, une politique normative qui tienne compte de l’importance respective des deux questions, « égalité de genre » et ‹‹ droits des femmes » ainsi que de leur corrélation, s’avère primordiale pour tout développement futur durable.
C’est en des termes pratiques qu’il faudra comprendre la notion de « durabilité » pour l’humanité, et c’est en fonction du développement humain qu’il faudra concevoir un avenir durable en Haiti.
Il importe pour chaque personne de poser sa pierre pour qu’on puisse transformer notre société en un monde égalitaire, fraternel et humain où chaque individu pourra offrir tout son potentiel dans la construction du bonheur de sa communauté et l’avancement de la grande famille humaine. Pour ce faire, la particularité des droits des filles doit être soulignée directement comme en atteste la Journée Internationale des filles fixée au 11 octobre.
Autrefois, le cap des vingt-et-un ans indiquait l’âge adulte; l’évolution moderne a justifié avec toutes ses composantes qu’il soit ramené à dix huit ans. Mais, il s’agit encore d’une vingtaine d’années environ. Au bout de vingt-cinq ans, garçon ou fille, tout enfant sera devenu adulte. Adresser les besoins des filles, c’est poser, prévenir et résoudre à l’avance certains problèmes vécus par les femmes, c’est transformer les bases sociales fondamentales.
Vouloir mener en Haiti ce combat indispensable pour l’égalité du genre et les droits des femmes, exigera que l’on s’arme d’un courage lucide. Il faudra faire preuve de ténacité, de tolérance et de pragmatisme pour ne pas s’enliser dans les pièges rhétoriques qui peuvent minimiser tout dialogue utile et retarder les avancées prévisibles.
En ce sens, l’action du Club « HeforShe / Lui pour Elle/ GasonkoreFi » est à féliciter, encourager, promouvoir et son extension devrait être favorisée.
Sauf de porter un nouveau regard positif et proactif sur les conditions féminines, d’institutionnaliser des pratiques égalitaires et de prioriser l’application des droits des femmes, envisager un avenir durable pour Haïtiennes et Haïtiens demeurera chose impossible.
En l’an 2000, on se fixait des objectifs pour 2030. Une période de trente ans constitue plus d’un quart de siècle. La réalité exige que les étapes de planification soient préétablies. Sinon, on risque de considérer l’objectif 2030 sans noter qu’on y sera dans une huitaine d’années et d’y arriver sans les résultats escomptés.
L’humanité est une, au-delà des différences de classe, de race, de fortune mais surtout des différences de sexe. Certains voudraient en appeler aux spécificités physiques naturelles pour justifier leurs présomptions d’inégalité et bafouer les droits des femmes. L’égalité de genre se fonde sur la dignité de l’être humain, celle d’être un homme autant que celle d’être une femme.
Une société haïtienne égalitaire, juste et prospère est possible car, elle ne dépend que de bonne volonté.
Chantal Volcy Céant
Experte en Sciences Sociales
Directrice de ‹‹ Maison Félicité ››