En Haïti nous avons fait l’expérience de la dictature présidentielle (concentration du pouvoir entre les mains d’un président) au cours de la dictature des Duvalier. Depuis 1987, avec l’adoption de la constitution en vigueur, nous expérimentons la dictature parlementaire (concentration des pouvoirs entre les mains du parlement).
En voulant à chaque fois une séparation stricte des pouvoirs, nous nous écartons de la philosophie derrière la théorie de Montesquieu (17e siècle) et de John Lock (16e siècle) qui n’implique pas une division stricte des pouvoirs politiques mais leur équilibre en vue d’une parfaite gouvernance de la cité.
Il revient à l’heure actuelle de penser à équilibrer les pouvoirs politiques en Haïti, sinon la gouvernance du pays sera toujours un désastre.
En fait, la logique derrière la remise des trois pouvoirs à des organes distincts est d’éviter leur concentration aux mains d’un seul homme et ainsi de garantir la liberté individuelle ou d’éviter l’absolutisme ou la dictature. Mais au fond, les compétences sont interdépendantes et complémentaires. En exemple, comme le législatif, l’exécutif élabore des règles, c’est le cas des lois de Finance. De même, comme le judiciaire, le legislatif juge, lorsqu’il s’érige en haute cour de justice pour juger les grands Commis de l’État.
C’est pourquoi le philosophe Louis ALTHUSSER (1959) dans son livre « Montesquieu, la politique et l’histoire », s’inspirant de la thèse de Charles EISENMANN « le mythe de la séparation des pouvoirs », qualifie la théorie de la séparation des pouvoirs d’un modèle théorique purement imaginaire prêté à Montesquieu.
Donc, le mieux pour Haïti est de trouver la meilleure combinaison possible des pouvoirs en vue d’une parfaite gestion du pays tout en sauvegardant la liberté individuelle et en évitant de tomber dans l’arbitraire.
Toutefois, Althusser exclut deux combinaisons qui seraient nuisibles pour un pays:
D’abord, c’est la combinaison où le législatif peut usurper les pouvoirs de l’Exécutif. Ce qu’il qualifie de « despotisme populaire ». Et, c’est la pire des situations à éviter. Haiti est dans une situation pareille actuellement où le parlement (dans la théorie puisque dysfonctionnel aujourd’hui) a des pouvoirs énormes au point de devenir un monstre, pour répéter Maître Monferrier Dorval, qui joue le rôle de l’exécutif dans plusieurs domaines . On trouve des députés, des sénateurs qui se comportent en maires et donc exécutent des projets, recommandent des ministres… » Que le peuple soit Prince, tout est perdu » affirme Arthussel.
Ensuite, la Combinaison à éviter aussi est celle où l’Exécutif empiète sur le judiciaire. C’est encore un piège de tomber dans le despotisme. La réalité présente d’Haïti n’est pas loin de celle-là. L’Exécutif contrôle de plein fouet l’appareil judiciaire si bien que celui, qui devrait défendre la cause du peuple, s’appelle « Commissaire du gouvernement » et donc travaille très souvent pour l’Exécutif au détriment du peuple.
Haïti a donc besoin d’un régime où les pouvoirs s’équilibrent et non un régime où, par souci de séparation stricte, tous les pouvoirs sont concentrés à un niveau ou à un autre. L’idée est que les pouvoirs puissent collaborer en vue d’une meilleure gouvernance politique, économique et sociale du pays.
N’est-ce pas le temps de revoir la constitution?
Israël Bien-Aimé
Économiste, le 26 mai 2021