La politique en Haïti, en ce début de Mai 2021, se retrouve dans un carrefour à trois têtes. Si le pouvoir s’accroche au mandat constitutionnel de 5 ans et s’ouvre à un accord politique, l’opposition se divise en deux pôles distincts. Si l’un d’entre eux souhaite jeter un pont pour sortir le pays de la crise actuelle qui détruit avec appétit le capital humain national et l’économie du pays, l’autre tient la corde raide et évite tout accord.
« Ni négociation, ni cohabitation » avance le secteur démocratique et populaire par la voix d’André Michel et de Nenel Cassy. Ces partisans de la confrontation retrouvent Matris Liberasyon de l’ancien Sénateur Antonio « Don Kato » Cheramy qui prône le « déguerpissement » et Fanmi Lavalas de l’ancien Président Jean-Bertrand Aristide, qui confine leurs sympathisants dans la même rhétorique, en appelant au renversement de la marmite « chavire chodyè a ».
Il serait tentant de rapprocher, Jean-Charles Moise – transfuge de cette famille politique, Joseph Lambert – l’animal politique et Youri Latortue – l’homme de tous les pouvoirs et de toutes les oppositions, à cette même vision anachronique de « rache manyòk » pour avoir cautionné, alimenté et même financé le « pays Lock ». Toutefois, sans des déclarations définitives pour le moment, tout porte à croire que ces personnalités seraient acquises au fameux « départ ordonné » projeté. Au fond, n’est-ce pas Youri Latortue, en pleines protestations violentes en 2019 qui avait appelé, pour la première fois, à un départ ordonné du Président Jovenel Moise ?
C’est en effet, ce que requiert aujourd’hui un consortium de 5 partis politiques de l’opposition qui inclut MTV de Reginald Boulos, En avant de l’ancien député Jerry Tardieu, ANTKF de l’ancien Sénateur Steven Benoit, FND du Professeur Victor Benoit et Operasyon Tèt Ansanm des Anciens Sénateurs Evalière Beauplan, Kelly C. Bastien et du Collectif des Anciens Députés de l’Opposition et Alliés (CADOA).
Selon ce pôle politique, « un accord politique inclusif est nécessaire entre les protagonistes de la crise », sans obligatoirement rencontrer Jovenel Moise, à travers un « processus de médiation internationale » et même « nationale » pour un « départ ordonné » du chef de l’Etat.
En fait, après l’échec de la tentative de médiation de Religion pour la Paix et les différentes positions exprimées à l’international, ces structures politiques de l’opposition souhaitent revenir à la formule de l’accord de Governors Island, où « en 1993 [l’organisation des Nations-Unies (ONU) a joué le rôle] de médiatrice entre le pouvoir légitimement élu et l’armée qui était au pouvoir », pour un dégel de la crise politique à l’époque. Un tel accord ouvrirait la voie, selon elles « à la mise en place d’un gouvernement de consensus ; l’organisation d’élections honnêtes, transparentes et crédibles dans un délai techniquement possible et un climat de sécurité rétabli ».
« Le départ ordonné signifie que… le président passera l’écharpe le 7 février 2022 à un autre Président »
En interview exclusive avec nos confrères de LeNouvelliste, le Premier Ministre a.i Claude Joseph, à propos du « départ ordonné » du Président Jovenel Moise envisagé par le groupe des 5, indique que « le départ ordonné signifie que les élections seront organisées et que le président passera l’écharpe le 7 février 2022 à un autre Président ». Le patron du Conseil Supérieur de la Police Nationale (CSPN), pour qui « l’insécurité a une dimension politique » croit « qu’un accord politique est extrêmement important pour organiser des élections qui ne soient pas contestées »
En ce sens, il rappelle que le Président de la République est « la première personne à croire qu’il faut un accord politique inclusif [par le fait même] d’accepter la démission du Premier Ministre Jouthe… ». « Le président a toujours dit (…) que le dialogue est permanent (…). Les hésitations et les réticences sont dans l’autre camp » soutient le chef de la Primature qui ne conditionne pas nécessairement le référendum pour une nouvelle constitution et les élections avec l’accord politique sur lequel, dit-il « nous avançons », alors qu’il a déjà sollicité au nom du gouvernement les bons offices de l’Organisation des Etats américains (OEA).
Hier encore le Ministre délégué chargé des questions électorales, Mathias Pierre, a soutenu que « le processus va bon train » pour l’organisation du référendum et des élections. « Tout le personnel électoral est en place », a-t-il poursuivi, précisant en outre que « 80% des bureaux et centres de votes sont déjà évalués par le Conseil Electoral Provisoire (CEP), la Police Nationale d’Haïti (PNH) et des experts de l’UNOPS ».
Par ailleurs, précise-t-il, une cellule de sécurité électorale travaille de concert avec les Forces armées d’Haïti (FAD’H) pour assurer le bon déroulement du processus, au moment où « 4 millions 503 mille 539 citoyennes et citoyens » sont déjà enregistrés par l’Office National d’Identification (ONI) et donc aptes à voter au referendum. Bien entendu le processus d’identification se poursuit par l’ONI, a-t-il fait savoir, jusqu’au 19 juillet 2021, date retenue pour la fermeture du registre électoral, soit 60 jours avant la tenue des élections générales.
Entre « référendum », « élections », « départ ordonné », « départ le 7 février 2022 » ou « déguerpissement », les haïtiens trouveront-ils une formule conjointe pour endiguer cette crise qui au-delà d’être conjoncturelle est profondément structurelle ? Il importe que la démocratie implique la passation pacifique du pouvoir, entre autres, en étant « gage de stabilité et de progrès ». Peut-on donc continuer à alimenter, ce que le Président Sténio Vincent appelait en 1939, « le glissement de la Nation » ? A nous haïtiens de voir et de choisir !
haititweets