Katizana. Au pénitencier national l’enfer est visible. Rien qu’en franchissant l’entrée principale du plus grand centre carcéral haïtien, une odeur puante et nauséabonde taraude l’odorat, un spectacle grotesque où la vie et la mort se côtoient au quotidien. A première vue, peut-on constater que les prisonniers perdent toute leur humanité dans un espace où ils devraient se sentir en sécurité peu importe les maux qu’ils ont commis à la société.
Cette enceinte conçue pour environ huit cent (800) prisonniers, est surpeuplée de détenus; Il en compte désormais plus de quatre mille (4 000) actuellement, à cause de la détention préventive prolongée, l’inaction et le laxisme du pouvoir judiciaire. Dans cette ambiance délétère, de négation de l’être et d’inhumanité, certains se sentent paralysés par la peur et le désespoir qui pourraient les basculer dans un cycle infernal de violence.
Toutefois, d’autres résistent et dérogent à la norme systémique imposée. Ils choisissent de surfer et prendre une toute autre voie menant vers une mise en valeur de leurs capacités. C’est le cas de deux prisonniers qui ont eu, en 2017, l’ingénieuse idée de lancer Katizana, un atelier de dessin à l’intérieur de la prison.
L’objectif de Katizana
Katizana vient d’une combinaison de deux mots : carte et artisanat. Les détenus membres du projet produisent des cartes artisanales qui seront livrées ailleurs. Ils en produisent pour toutes les occasions (nouvel an, St. Valentin, Pâques, fête des mères, fête des père, Noel et aussi des cartes personnalisées).
Cette initiative a débuté en 2017 avec deux détenus en vue de se donner une activité, aussi de fuir la réalité itérative et lassante à laquelle ils se sont confrontés chaque jour. Ce qui, à bien des reprises, est à la base de certains cas de suicide, nous dit un des initiateurs du projet. C’est aussi dans l’objectif de trouver des fonds nécessaires à l’achat de kits hygiéniques et de payer les services d’un avocat.
Organisations et réalisations
Katizana est administré par un comité de onze membres. Ils sont tous parents de détenus travaillant à titre bénévole pour la promotion des cartes produites par les prisonniers artisans. Cea derniers sont au nombre de 14.
Les dessinateurs produisent en moyenne mille deux-cent cartes par mois grâce au support de la structure religieuse Inter Congrégation Missionnaire (ICM). Par le biais du comité, ces cartes sont délivrées dans plusieurs rayons de supermarchés tant en Haïti qu’à l’étranger.
Ainsi cinquante pour cent des bénéfices sont destinés aux quatorze détenus regroupés au sein de Katizana, vingt pour cent (20%) vont dans la rubrique juridique pour leur permettre de se faire assister par un avocat. Les trente pour cent (30)% restants sont gérés par le comité pour l’achat des matériels de travail, mais aussi pour couvrir des frais de transport, de copies, internet, et autres.
Vu les règles régissant le fonctionnement des prisons, Katizana évolue pour l’instant dans l’informel, nous explique Richard Trezil, porte parole du comité. Toutefois, l’activité n’est pas méconnue de l’administration pénitencière puisqu’elle a été médiatisée dans un reportage intitulé « le cri des oubliés de l’enfer carcéral », du jeune journaliste Davidson Saint Fort, pour lequel il a remporté « le prix chaffonjon 2018 », poursuit Monsieur Trezil.
Comment les prisonniers dessinateurs arrivent à vivifier Katizana ?
Les membres du comité sont responsables pour fournir des matériels aux prisonniers dessinateurs pour la production des cartes. En fait, les promoteurs n’envoyent pas de materiels interdits à la prison tels que ciseaux, couteau, gilette. « Les membres du comite achètent et découpent les bristols que les artisans vont utiliser pour réaliser les desseins. Ainsi, on envoie que des matériels non-sensibles, tels que crayons ordinaires, crayons couleurs, feutres pour faire fonctionner l’atélier », avance le porte-parole.
L’idée de Katizana est tout a fait originale. Elle s’inscrit dans une perspective d’insertion professionnelle et d’orientation au sein même de la prison. Il serait sans doute tout au moins intéressant si les autorités pensaient à accompagner cette initiative. Cette idée innovante inspire et renvoie aussi un message d’optimisme et de positivité pour dire aux prisonniers que même au fond d’une cellule de prison, on peut créer, vivre une passion et pousser ses rêves.
Michenel PIERRE