L’économie et l’exécution des contrats de travail sont en difficulté. L’état d’urgence sanitaire a été déclaré par arrêté présidentiel en date du 19 mars 2020 en raison de la détection de cas avérés d’infection par le COVID-19 sur le territoire national. L’article 1 (4) dudit arrêté requiert aux citoyens de rester chez eux ou de restreindre leur déplacement en vue de réduire la propagation du virus. Devant composer avec ces restrictions, certaines entreprises ont dû cesser leurs activités et d’autres ont vu s’effondrer leur chiffre d’affaires.
La baisse de l’activité économique induite par une telle situation a une incidence néfaste sur l’emploi et par voie de conséquence sur les contrats de travail liant employeurs et employés. Deux sorts peuvent être réservés à ces contrats. D’une part, il peut y avoir, rupture du contrat conformément à l’art 38 (b) du Code du travail disposant que le contrat est résilié de plein droit en cas de force majeure dûment prouvée. D’autre part, le contrat de travail peut être suspendu temporairement conformément aux dispositions des arts 32 et suivants du Code du travail. En effet, les dispositions relatives à la suspension du contrat de travail entrent, notamment, en jeu en cas de force majeure entrainant un arrêt immédiat mais temporaire des travaux. La force majeure peut, alors, être la cause tant de la rupture que de la suspension du contrat de travail.
Une épidémie en soi n’est pas constitutive de force majeure. Cependant, le COVID-19, une nouvelle souche de coronavirus, a provoqué une maladie émergente, pandémique, particulièrement contagieuse et associée à une morbi-mortalité qui met en défi tous les systèmes de santé à travers le monde. La crise sanitaire engendrée par la dangerosité du virus et la mise en place d’actions gouvernementales restrictives en vue de contrôler sa propagation s’apparentent à un cas de force majeure. Celui-ci est un événement qui rend impossible l’exécution d’une obligation.
Les conditions d’un cas de force majeure…
Il faut la réunion de trois (3) critères pour qu’un évènement constitue un cas de force majeure. Ces trois conditions que sont l’extériorité, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité se retrouvent dans le cas de l’épidémie COVID-19.
Ainsi, le critère de l’extériorité de l’évènement caractérisant la force majeure existe puisque l’inexécution du contrat de travail est due à une cause étrangère, les parties au contrat n’étant pas à l’origine de l’épidémie qui se répand.
Par ailleurs, il est légitime de se questionner sur l’existence du 2e critère qui est l’imprévisibilité puisque la pandémie fait les gros titres des journaux à travers le monde depuis bientôt 3 mois et l’OMS dès le 20 janvier 2020 déclarait que cette épidémie représentait une urgence de santé publique de portée internationale. La probabilité de sa propagation en Haïti était élevée.
Cependant, la condition de l’imprévisibilité est remplie dès lors que le contrat de travail a été conclu antérieurement à l’apparition de la pandémie. Même dans l’hypothèse où le contrat aurait été conclu postérieurement à la survenance de la pandémie, il était peu probable de connaître le moment de son arrivée en Haïti et de prévoir les mesures que le Gouvernement allaient prendre pour la combattre.
Aussi, le critère de l’irrésistibilité peut aussi faire débat quant à son applicabilité au cas qui nous intéresse. Pour que cette dernière condition soit remplie, il faut, selon les dispositions de l’art 938 du Code civil, que l’épidémie rende impossible l’exécution du contrat de travail.
Depuis le décret du 19 mars 2020 et sa circulaire d’exécution du 25 mars 2020 instaurant le couvre-feu, la fermeture des écoles, l’interdiction de rassemblement de plus de 10 personnes, les entreprises de textile, de restauration, de divertissement, de transport d’écoliers, d’agence de voyages par exemple, assistent impuissantes à la chute drastique de leur chiffre d’affaires. Ces entreprises mises en difficulté ne peuvent pas résister aux effets de l’épidémie.
Dans d’autres cas, l’exécution du contrat de travail est empêchée parce que les employeurs ne parviennent pas à garantir la sécurité sanitaire de leurs employés soit en raison de l’exiguïté de l’espace de travail ou de la nature de l’activité de l’entreprise qui ne permet pas la distanciation sociale d’un mètre cinquante (1.5 m) exigée par la circulaire du 25 mars 2020. Toutefois, la condition de l’irrésistibilité n’est pas réunie si l’employé peut valablement exécuter le contrat de travail en travaillant à distance.
Il convient de rappeler que l’employeur a une obligation légale et contractuelle de garantir la sécurité des travailleurs. En cas de contamination sur le lieu de travail, le patron ne pourra s’exonérer de sa responsabilité qu’en justifiant avoir pris toutes les mesures nécessaires prévues par l’art. 31(b) du Code du travail et par la circulaire du 25 mars 2020 comme par exemple en adoptant la formule de rotation de 50% du personnel préconisée en vue de permettre la distanciation sociale.
Le salarié peut d’ailleurs mettre fin à son contrat de travail sans qu’il en résulte de responsabilité pour lui, si conformément à l’art 41 (d) et (e) du code du travail il craint pour sa santé parce que l’employeur ou un autre salarié est atteint de la maladie contagieuse ou que les mesures de prévention et de sécurité ne sont pas observées.
Que faire en pareille circonstance?
En considérant les affirmations des épidémiologistes, l’épidémie est provisoire. Sur la base de ces affirmations, la suspension temporaire du contrat de travail paraît être la solution la plus adaptée à la situation actuelle. La suspension est une mesure provisoire, limitée dans le temps.
Dans le cadre de cette crise, en se référant à l’arrêté précité, l’état d’urgence s’étend sur une période d’un mois. C’est précisément, le temps légal de la suspension du contrat de travail qui ne peut dépasser trente (30) jours. A l’échéance du premier mois, le salarié a l’option de considérer que le contrat est résilié. Cependant, une prorogation peut être décidée, mais elle ne peut excéder un mois. La suspension n’est de ce fait pas indéfiniment prorogeable et en cas de non reprise des travaux, la suspension peut être considérée comme une rupture du contrat.
Il faut constater que cette suspension temporaire présente beaucoup d’avantages pour l’employeur. Cette mise en disponibilité n’entraine pas de responsabilité pour le patron et il n’est pas tenu de verser un salaire à l’employé durant la période que dure la suspension. En ce qui concerne l’employé, le seul avantage réside conformément au 3e alinéa de l’art 33 du Code du travail, dans le fait qu’il conserve le privilège à l’embauche en cas de reprise des travaux.
S’il n’y a pas reprise des travaux après la prorogation, le contrat sera présumé résilier et l’employé devra recevoir toutes ses prestations légales. La Direction du travail du MInistère des Affaires Sociales doit être notifiée en cas de suspension temporaire et de résiliation du contrat de travail.
Rose-Berthe Augustin
Avocate