Lors d’une conférence de presse à Port-au-Prince, le mardi 6 avril 2020, le ministre des Travaux publics, Joacéus Nader, a fait des révélations quelque peu macabres qui n’enchantent pas la majorité des haïtiens. Il a prédit qu’Haïti enregistrerait entre 1000 et 1500 décès par jour à la fin du mois de Mai en raison du coronavirus si les instructions émises par le gouvernement n’étaient pas suivies.
De nombreux observateurs critiquent les prévisions du Ministre. Cependant, les modèles utilisés ailleurs n’augurent rien de bon pour les pays qui affichent les mêmes tendances qu’Haïti. Beaucoup se demande quel modèle analytique le ministre a utilisé pour déduire de tels chiffres bien que l’on puisse malheureusement présumer que si rien ne change dans l’attitude des citoyens, sa prédiction peut être susceptible de se matérialiser.
Si l’on suit de près ce qui s’est passé à Wuhan, ou ce qui se passe actuellement à New York, et dans d’autres régions métropolitaines du monde, on peut s’attendre à des résultats au moins similaires ou encore plus alarmants en termes de nombre de cas ou de décès par jour dans une ville comme Port-au-Prince réunissant toutes les conditions en termes de densité et de conditions de vie des masses populaires, pour une diffusion vertigineuse du virus.
Les prévisions projettent une triste image des événements à venir, si rien n’est fait individuellement pour se protéger contre le virus, et au niveau de l’État pour ralentir sa propagation et améliorer la capacité de prise en charge des personnes infectées.
Voici quelques données et caractéristiques communes entre Port-au-Prince et les villes susmentionnées qui amènent à prendre au sérieux les avertissements du ministre :
- La configuration cloîtrée et surpeuplée des banlieues qui est un obstacle majeur pour la mise en œuvre de structures temporaires pour desservir les minorités et les groupes à faible revenu lors d’une catastrophe ou d’événements imprévus tels que la propagation de covid-19;
- La haute densité enregistrée au niveau des foyers qui facilitera la propagation d’agents contagieux;
- L’utilisation intensive des transports publics avec des véhicules généralement surchargés;
- La dépendance d’une grande majorité de la population aux activités quotidiennes pour s’assurer un revenu de subsistance, réalité qui rend inentendable la directive de « restez chez vous« ;
- L’inaccessibilité d’une assurance maladie adéquate pour la majorité de la population;
- Un système de santé débordé avec moins de 5 lits d’hôpital pour 1000 personnes. C’est encore pire en Haïti qui a un ratio de moins d’un lit et un très faible taux de médecins pour 1000 habitants;
- Un manque d’équipements de protection individuelle pour le personnel infirmier ou pour les patients;
- Un taux élevé de la population avec des conditions préexistantes, et la prévalence des maladies infectieuses et génétiques;
- Une culture accentuée sur les interactions de foules : festivals, barbecue, groupes d’animation, événements de masse.
Malheureusement, le cas d’Haïti est spécifiquement plus grave. En plus des problèmes mentionnés ci-dessus, s’ajoutent d’autres préoccupations :
- Un manque de confiance généralisé dans le système étatique et un manque de respect pour les autorités;
- La faiblesse des structures hygiéniques et sanitaires, et plus particulièrement le manque d’accès à l’eau dans beaucoup de zones du pays alors que la principale mesure barrière recommandée est le lavage de mains ;
- La malnutrition et la mauvaise alimentation chroniques chez certaines tranches de la population;
- Le manque de ressources pour renforcer les mesures de confinement et de distanciation sociale;
- Le manque de moyens pour réaliser un vrai programme de prévention. Le budget national est très faible, et les programmes sanitaires dépendent en grande partie du support des ONGs et des partenaires étrangers. Or, ces partenaires sont tout aussi bousculés par la pandémie et freinés dans leurs actions.
- Le manque d’équipements et de moyens pour mener une politique intensive de dépistage. Certains pays ont pu réaliser jusqu’à 80.000 à 100.000 tests de dépistage par million d’habitants alors qu’Haïti n’a pu réaliser qu’un maigre taux de 23/1.000.000.
Au final, il est important de ne pas entamer une polémique autour des propos du ministre qui visent à préparer les gens à ce qui peut arriver et à pousser chaque citoyen à assumer ses responsabilités pour sauver sa vie et celle des autres qui sont dans son environnement immédiat.
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Naples, Fl
7 avril 2020