Abstract
This article is about child protection. It aims to explore the forms of protection of learners with disabilities in schools. In terms of methodology, quantitative and qualitative data were collected from 77 schools located in three departments of the southern of Haiti. The data analyzed so far have made it possible to argue that public policies on child protection do not give satisfactory results to learners with disabilities. While children at risk benefit from the forms of protection implemented by IBESR and its partners in terms of foster care, family preservation and reunification, these forms of protection do not always respect their right to education with regard to psycho-pedagogical measures which should be organized and supported by public education. Disability cannot be considered solely from a biomedical point of view in terms of the health of the child. But it must also be addressed both from a legal and psycho-pedagogical point of view.
La question de la protection de l’enfance est au centre des débats publics et devenue préoccupante durant ces dernières décennies. Elle occupe l’attention de plus d’un notamment des acteurs de la société civile, des chercheurs (Garel, 2003 ; Grevot, 2010 ; Gilbert, 2011 ; Lainy, 2017) et des éducateurs en particulier. Le cyclone Matthew qui a ravagé le grand Sud d’Haiti a causé des dégâts naturels et humains. Les dégâts humains sont des pertes en vie humaine, des blessures physiques, des cas de handicap physique, psychologique et mental. Cette catastrophe naturelle a été l’occasion pour les chercheurs du Groupe d’Initiative pour l’Étude de la Cognition, du Langage, de l’Apprentissage et des Troubles (GIECLAT) de réfléchir sur la notion de handicap chez les apprenants en contexte scolaire.
Une méthodologie mixte (Pinard, Potvin & Rousseau, 2004) qui combine les données quantitatives et qualitatives auprès de 77 écoles situées dans trois départements du grand Sud d’Haïti a été adoptée. La population sous enquête a quatre unités statistiques à savoir les enseignants, les directeurs d’école, les élèves et les parents. Elle est systématique en ce qui a trait au département de la Grand’Anse avec 61 écoles et échantillonnée pour les départements des Nippes (6 écoles) et du Sud (10 écoles). Les techniques de collecte de données nécessaires à l’analyse incluent : une enquête de terrain, des observations directes, l’administration d’un questionnaire auprès des élèves de la 1ère A.F à la 3ème A.F, des enseignants, des directeurs d’écoles et des parents. Au moyen des données partielles qui sont déjà collectées, cet article vise à explorer les formes de protection des apprenants en situation de handicap dans le contexte scolaire.
Apprenants en situation de handicap et protection de l’enfance
La protection de l’enfance relève du gouvernement et est encouragée par la constitution haïtienne de 1987. Elle se situe dans la catégorie de politique publique effective. La politique publique de protection de l’enfance désigne toute action visant à traiter les problèmes rencontrés par les mineurs dans le cadre de leur vie familiale. Grevot (2010) identifie trois catégories d’enfants à prendre en compte dans cette démarche. La première catégorie est celle des enfants dont les parents biologiques ne sont pas en mesure d’assurer leur prise en charge et plus précisément leur éducation. Cela est dû aux problèmes socio-économiques, à un manque de connaissance des besoins de l’enfant ou au cumul de facteurs environnementaux, psychologiques et émotionnels empêchant ces derniers de porter suffisamment attention à leurs enfants. La deuxième catégorie est celle des enfants vivant dans des situations dramatiques de maltraitance physique, psychologique et sexuelle. Cette catégorie regroupe des enfants en domesticité, des enfants placés en institution (orphelinat ou maison d’enfant) et des surâgés du système d’éducation formelle. La troisième catégorie est celle des enfants qualifiés tantôt d’enfants des rues tantôt d’enfants en conflit avec la loi.
Il est constaté que depuis plusieurs décennies, la plupart des actions qui concernent ces trois catégories d’enfants en Haïti émane de l’Institut du Bien-Être Social et de Recherches (IBESR) avec le soutien et l’assistance technique du Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) et de certaines Organisations non-gouvernementales (ONG). Ces actions sont réalisées généralement auprès des trois catégories d’enfants : les enfants issus de familles biologiques à revenu faible, des enfants victimes de maltraitance dans les institutions et des enfants des rues ou en conflit avec la loi.
Une autre catégorie d’enfants semble être négligée par l’IBESR et ses partenaires. C’est celle des élèves qui pour des raisons de handicap se trouvent confrontés à des problèmes de troubles de langage, d’apprentissage et de redoublement qui, occasionnera le phénomène de surâgé. Il a été observé que les enfants atteints d’un handicap courent un plus grand risque de mauvais traitements et/ou de négligence que les enfants non handicapés (Sullivan & Knutson, 2000). De plus, les risques sont trois fois plus élevés qu’un enfant handicapé subisse de mauvais traitements, comparativement à un enfant non handicapé (Sullivan & Knutson, 2000). L’enfant en situation de handicap a des difficultés à se reconnaitre et à être reconnu comme écolier parmi les écoliers, à apprendre des autres enfants et à leur apprendre des choses (Scelles & Dayan, 2015). Il est aussi important de souligner le manque de possibilités de l’enfant pour mettre en pensées, en mots et en images ce qui concerne ses déficiences et ses incapacités et le manque d’expériences de situation de co-apprentissage entre pairs (Scelles & Dayan, 2015).
Opérateurs de protection de l’enfance : un coup d’œil diachronique
Depuis 1968, plusieurs ONGs s’étaient arrangées du côté de l’Etat pour offrir un dispositif permettant d’adresser le problème des enfants à risque. Ces organisations peuvent être classées en deux groupes. Le premier groupe concerne celles qui travaillent, bien avant la création de l’IBESR en 1983, au développement des enfants démunis. Ces dernières sont réputées pour apporter une contribution significative au problème de protection et de développement de l’enfant grâce au programme de parrainage international. Ce groupe comprend : Compassion International, World Vision, Plan International, etc. Le deuxième groupe concerne les organisations qui interviennent de concert avec l’IBESR comme autorité centrale en matière de protection de l’enfance. Dans cette perspective, on peut citer : UNICEF, Terre des Hommes de Lausanne, Handicap International et Bethany Christian Services Global (BCSG) qui accompagnent l’IBESR dans la mise en place d’un dispositif de placement des enfants en famille d’accueil.
Certaines de ces organisations appuient l’IBESR dans la lutte contre la domesticité infantile. On peut citer: Aba Sistèm Restavèk (ASR), World Orphans, TIMKATEK, Fondation Maurice Sixto, Restavèk Freedom, Free the Slaves, Beyond Borders, etc. D’autres organisations introduisent une nouvelle approche pour la protection des enfants. Il s’agit du renforcement des capacités économiques des familles de manière à assurer la prise en charge des enfants. Ces organisations accompagnent l’IBESR dans ses efforts pour renforcer la capacité économique des familles vulnérables. On peut citer par exemple : Catholic Relief Services (CRS), Bethany Christian Services Global (BCSG), etc. D’autres organisations interviennent dans la recherche et la réunification familiale des enfants en institutions, des enfants en prison et des enfants des rues. C’est le cas de : AVSI, Fondation Zanmi Timoun et Foyer Lescal.
D’autres institutions privilégient l’éducation des enfants ayant un handicap physique ou mental et travaillent dans la thérapie des enfants en difficulté grave d’apprentissage. C’est le cas de : Centre St François (Ile à Vache), Danita’s Children Home (Ouanaminthe), Melissa of Hope (Cité Soleil), Centre Monfort (Croix-des-Bouquets), Centre de Simulation et de Nutrition (Carrefour), Centre Sainte Helene (Kenskoff) de l’Hôpital Petits Frères et Sœurs, Maison des Enfants Handicapés (Delmas), La Petite Béquille (Delmas), Mercy and Sharing (Arcahaie), My Life Speaks (Léogane), HIS Home for Children (Delmas), New Life for Children et Notre Maison (Sarthe), Maison d’Espoir (Port-de-Paix), Children of the Promise (Cap-Haitien), Saint-Vincent et Centre d’Éducation Spéciale (Port-au-Prince).
Il est observé que les apprenants ayant un handicap dans le système formel de l’école fondamentale ne sont pas pris en compte par ces partenaires suscitées. Néanmoins, il faut apprécier les efforts de la Secrétairerie d’Etat pour les Personnes handicapées et ainsi que ceux de la Commission d’Appui scolaire et d’Appui social (CASAS) du Ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle (MENFP) pour intervenir auprès des apprenants en situation de handicap.
La présence d’élèves en situation de handicap dans les écoles des différentes régions du Sud du pays invite les enseignants et les directeurs d’écoles à réfléchir sur la façon de développer leur enseignement/apprentissage dans une perspective d’intégration/inclusion (Garel, 2003). Elle interpelle aussi les décideurs et les chercheurs en psychopédagogie et en éducation. C’est dans cette perspective que le GIECLAT a conçu ce projet de recherche intitulé : « Élèves handicapés et pratiques pédagogiques des enseignants des écoles des Nippes, du Sud et de la Grand’Anse ». Avec le financement de National Academic of Science (NAS) et de l’Agence américaine pour le Développement international (USAID), ce projet est réalisé en partenariat avec la Commission d’Appui scolaire et d’Appui social (CASAS) du Ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle (MENFP), l’Institut universitaire de Formation des Cadres (INUFOCAD) et le Laboratoire de recherche Langue, Société, Éducation (LangSÉ) de l’Université d’État d’Haïti (UEH).
Résultats partiels relatifs aux types d’handicap observés
Les observations et les entretiens avec les élèves, enseignants et directeurs d’écoles ont permis de comprendre que les 77 écoles étudiées fonctionnent avec des classes mixtes c’est-à-dire l’existence des élèves en situation de handicap et des élèves ordinaires. Ces écoles sont pour la plupart des écoles publiques et non-publiques situées à la fois dans les villes et dans les sections communales. Les données statistiques collectées lors de l’administration du questionnaire ont permis de sélectionner environ 1778 élèves présentant des signes de handicap susceptibles d’affecter leur apprentissage et leur rendement scolaire. Ces signes de handicap peuvent être regroupés dans les sept catégories suivantes : (a) problème de comportement, (b) d’attention, (c) d’apprentissage, (d) du langage, (e) mental/cognitif, (f) physique et (g) socio-affectif.
Problème de comportement – Sur les 1778 élèves identifiés comme ayant des problèmes de handicap, 240 soit 13.52% présentent des problèmes de comportement. Ils se manifestent par des traits comme le bavardage, la taquinerie, l’impulsivité, la timidité, le conflit entre les pairs, l’agressivité, la turbulence, la perturbation, la nervosité, l’anxiété, la perplexité, l’insouciance, le repli sur soi, le manque de concentration, la dépression, l’isolement, la solitude, l’inaction, etc.
Problème d’attention – 148 soit 8.32% des élèves observés présentent des signes d’inattention qui se manifestent par des traits comme l’inadaptation, la distraction, le manque d’interaction et de concentration, le manque d’intérêt pour les activités de la classe, le manque de motivation, l’inaction, etc.
Problème d’apprentissage – 930 soit 52.30 % des élèves observés présentent des signes de difficulté d’apprentissage qui se manifestent par des traits comme la dyslexie, la dysgraphie, la dysorthographie, la dyscalculie, la dyspraxie et certaines difficultés de compréhension.
Problème de langage – 266 soit 14, 96 % de la population étudiée présentent des signes de difficultés de langage qui se manifestent par des traits comme les troubles de production des phonèmes ou dysphonie, de lexique, de syntaxe, de dysgraphie, de dysorthographie, du discours confus, de formation des lettres, de production et de réception inappropriées, d’autisme, de mutisme, de retard simple de parole et de langage, d’écriture illisible, de difficultés de prononciation, de distorsion du langage, etc.
Problème mental et cognitif – 61 soit 3.43 % des élèves présentent des signes ayant trait au problème cognitif ou mental comme l’anomalie visuelle, la déficience mentale, l’autisme, l’incapacité de compter, les difficultés à écrire avec la main gauche et en lettre attachée, l’oubli, les difficultés à distinguer les consonnes et des voyelles, les difficultés de faire des opérations mathématiques, etc.
Problème physique – 92 soit 5.17 % des élèves observés présentent des signes ayant trait aux problèmes physiques comme la surdimutité, le trouble visuel, la déformation de la jambe, la myopie, etc.
Problème socio-affectif – 41 soit 2.30% des élèves présentent des signes ayant trait aux problèmes socio-affectifs comme la tristesse, la timidité, la peur, la solitude, le manque de confiance, le découragement, la nervosité, l’anxiété, la dépendance, etc.
Ces données partielles ont montré la nécessité d’approfondir la recherche sur ce phénomène étudié. Les enseignants intervenant dans une classe hétérogène c’est-à-dire ayant à la fois des élèves en situation de handicap et des élèves ordinaires doivent tenir compte des caractéristiques individuelles de chaque élève dans le but de favoriser leur sécurité, leur autonomie et mobiliser les facteurs psychologiques favorables à leur engagement, faciliter la compréhension des consignes et des conseils (Garel, 2003). Il est aussi important de souligner que la protection des élèves en situation de handicap dans des établissements scolaires ordinaires dépend en grande partie des adaptations didactiques et pédagogiques. Or, généralement, les instituteurs ne sont pas équipés pour faire face de manière efficace à cette situation de mixité et que les élèves à besoins éducatifs particuliers sont généralement négligés.
Les données analysées jusqu’ici nous permettent d’avancer que les politiques publiques en matière de protection de l’enfance ne donnent pas des résultats satisfaisants auprès des apprenants en situation de handicap. En dépit des efforts du gouvernement et de la société civile pour adresser le problème, les besoins spécifiques de protection de cette catégorie d’apprenants, dans les faits, ne sont pas pris en compte. Si les enfants à risque bénéficient des formes de protection mises en œuvre par l’IBESR et ses ONGs partenaires en termes de placement en famille d’accueil, la préservation et la réunification familiales, ces formes de protection ne respectent pas toujours leur droit à l’éducation au regard des mesures pédagogiques et pédago-thérapeutiques qui devraient être organisées et prises en charge par l’instruction publique. Le handicap tel qu’il est appréhendé dans le cadre de cette recherche, ne peut être considéré du seul point de vue biomédical en termes de santé de l’enfant (Gilbert, 2011). Mais, il doit être aussi abordé à la fois du point de vue juridique et psychopédagogique. De plus, il doit être compris aujourd’hui comme un processus complexe impliquant des interactions de l’enfant et de son environnement aussi bien physique que social.
Références
Garel, J. P. (2003). « Élèves en situation de handicap : la préparation de l’intégration en EPS ». EPS : Revue éducation physique et sport, Editeur EP&S, pp.73-76.
Gilbert, P. (2011). « L’enfant handicapé ». La Revue du praticien, 61, 1.
Grevot, A. (2010). « Ce que l’on appelle protection de l’enfance ». Les cahiers dynamiques, (4), 58-63.
Lainy, R. (2017). Troubles du langage, langue d’enseignement et rendement scolaire : essai de diagnostic du système éducatif haïtien. Editions L’Harmattan.
Pinard, R., Potvin, P., & Rousseau, R. (2004). « Le choix d’une approche méthodologique mixte de recherche en éducation ». Recherches qualitatives, 24(1), 58-80.
Scelles, R., & Dayan, C. (2015). « L’enfant en situation de handicap : désir de savoir et apprentissage avec les pairs ». Revue électronique Cliopsy, 13, 7-26.
Sullivan, P. M., & Knutson, J. F. (2000). « Maltreatment and disabilities: A population-based epidemiological study ». Child abuse & neglect, 24(10), 1257-1273.
Vijonet Déméro, professeur
Institut universitaire de Formation des Cadres (INUFOCAD)
Chercheur associé au laboratoire GIECLAT – LangsE