Par Me John Woosely MORISSET
Le vendredi 25 mai 2019 suite à la Conférence de presse du Commissaire du Gouvernement de Port-au-Prince, Me Paul Eronce Villard concernant des aspirants policiers arrêtés à l’Académie de Police, beaucoup de médias niant le principe de la présomption d’innocence affichent en grand plan des titres tels que : « 5 aspirants policiers membres actifs de gang arrêtés à l’Académie de Police » ; « Arrestation de 5 aspirants policiers impliqués dans le gangstérisme ».
Suite à ces annonces on est amené à se poser la question de savoir qu’est-ce qu’on a fait du principe de la présomption d’innocence en Haïti ? Sachant que le dossier est en cours et aucun jugement n’a encore été rendu. Pourtant des formulations prennent déjà la place au mot du Juge et tentent de propager comme une tâche d’huile au sein de la société que ces personnes sont des membres actifs de gang.
Que l’on soit clair dans nos propos, ces écrits ne visent pas à discréditer l’importance, la noblesse et le courage caractérisant l’institution policière et la Presse en Haïti. En dépit de toutes les circonstances nuisibles qui pourraient entraver la performance de nos policiers, ils se donnent corps et âme, souvent au péril de leur vie avec des maigres ressources pour assurer la sécurité des vies et des biens. Aussi, compte tenu de l’importance que revêt la Presse dans la lutte pour la préservation démocratique et pour la liberté d’expression en Haïti, nous ne saurions qu’applaudir les efforts déployés par les journalistes bravant le danger pour la sauvegarde de ces acquis, citoyens haïtiens.
Le constat est alarmant, le danger nous guette et la population est aux abois. L’insécurité dans ses multiples dimensions bat son plein. En effet, elle est entre autre environnementale, foncière, physique, alimentaire. Des citoyens sont victimes d’atrocités, des policiers ne cessent d’être la cible des bandits, des fillettes et des femmes sont violées et subissent des préjudices corporels. La situation est extrêmement critique. « Ou pa bezwen annafè pou w viktim ». Nous frôlons la mort au quotidien. Personne n’est à l’abri. La population, quant à elle, ne cesse de demander des comptes aux institutions policières et judiciaires. Quand la communauté demande des résultats, la police remplit sa mission en arrêtant les suspects. Mais doit-on automatiquement coller une étiquette de bandit à tous ceux qu’on arrête ?
De la présomption d’innocence
Pour parler un langage simple, la présomption d’innocence est ce principe qui veut que toute personne soit réputée innocente tant que légalement c’est-à-dire tant qu’un juge n’a pas prononcé sa culpabilité. A bien comprendre que les réseaux sociaux constituent une méthode de communication dans le sillage des relations virtuelles et interpersonnelles contemporaines, ils permettent de passer outre les limites de l’espace et du temps et permettent aux individus de rester interconnectés. Cependant par effet pervers aussi, l’information va vite et souvent les gens ne prennent pas le temps de se montrer critiques en questionnant ce qu’ils lisent.
La Constitution haïtienne de 1987 lit-on dans le préambule est proclamée par le peuple haïtien « Pour garantir ses droits inaliénables et imprescriptibles à la vie, à la liberté et la poursuite du bonheur; conformément à son Acte d’indépendance de 1804 et à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. » Et suivant l’article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948: « Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ». Au niveau de l’article 11 nous lisons ce qui suit: Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public ou toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées.
Comme corollaire, la violation du principe de la présomption d’innocence sape aussi les fondements du droit à la défense et les garanties de la liberté individuelle retrouvées dans la Constitution haïtienne de 1987 en ses articles 24 à 26. En d’autres termes, le prévenu, l’inculpé ou l’accusé sera présumé innocent pendant toute la durée de la procédure et de l’instruction de son dossier au nom du respect de la liberté individuelle.
Récemment on a pu lire sur les réseaux sociaux que deux jeunes ont été arrêtés à Ouanaminthe le 4 mai 2019, la seule faute véritable qu’ils ont commise c’est d’avoir circulé sans leur pièce d’identité et vite fait, on les a associés à un groupe de gang, et les commentaires sur facebook ont été des plus virulents et drastiques. Certains ont appelé à les éliminer « Pa mete yo nan prizon. Kraze tèt yo ». Mais dix jours après soit le 14 mai, ils ont été relâchés parce que la vérité a vu le jour et ils ne faisaient pas partie de ce groupe de gang suivant ce qui est consultable à partir de l’article « Les deux jeunes injustement sacrifiés sur la page FB ‘‘Allo La Police d’Haïti’’ ont été libérés » publié par le média en ligne haititweets en date du 16 mai 2019 sous la plume de l’auteur Maudelin Gedney.
Accusés à tort, cloués au pilori sur les réseaux sociaux, membres de gang dit-on. Une réputation souillée malgré tout. ! Il est tout à fait normal que la Police tente d’épurer l’institution Policière. C’est de bon droit que la Police doit mener des enquêtes de proximité pour éviter que des individus qui sont auteurs d’actes répréhensibles ne viennent chercher un paravent dans une dynamique de légitimation de leurs actes au sein de l’Institution ou d’espionnage afin de déstabiliser les plans de lutte de la Police Nationale contre les actes de banditisme. Les auteurs des infractions doivent être recherchés et punis avec rigueur en conformité avec la loi. On ne saurait remettre en question cet élément. Mais c’est aussi dans l’intérêt de l’Institution et des familles haïtiennes que des enquêtes sérieuses soient menées et que des étiquettes ne soient pas collées furtivement à des individus, plongeant leurs familles dans une tristesse sans nom, souillant l’honneur de ces personnes.
Souvent et à tort il est de coutume à ce que des gens soient pointés du doigt et vus comme bandit rien que par le fait qu’ils sont issus de quartiers défavorisés ou qu’ils sont vêtus de telle ou de telle autre manière. En 2019, il est inadmissible à ce que des gens soient stigmatisés sur la base de leurs origines, de leur tenue vestimentaire ou de leur coupe de cheveux par exemple. Il est aussi inadmissible que des gens soient présentés comme coupable avant même qu’ils ont pu être l’objet d’un jugement.
Alors que le dossier est transféré au Cabinet d’instruction pour approfondissement des faits reprochés à ces individus, déjà lit-on que cinq (5) aspirants policiers « membres actifs de gang » sont arrêtés. Qu’adviendra t-il si les résultats de l’investigation poussée, révèle qu’au moins l’un de ces individus n’a jamais été impliqué dans des actes de banditisme ? La justice haïtienne a-t-elle les moyens de réhabiliter l’image, l’honneur et la réputation des gens étiquetés injustement ? Quel signal l’institution veut-elle envoyer aux autres jeunes qui souhaiteraient intégrer la Police Nationale d’Haïti et qui ne demandent qu’à servir leur pays ?
Que tous les citoyens comprennent que le principe de présomption d’innocence est une garantie judiciaire. Il vise la protection de droits de l’homme, de la dignité et de la personnalité de tous. La Police doit continuer à poursuivre les contrevenants à l’ordre social peu importe leur nom et leur rang social.
La prudence du Commissaire du Commissaire du Gouvernement est tout à fait compréhensible car si les rapports du SDPJ et de la DCPJ mettent à l’index ces jeunes comme bandits, il (le Commissaire du gouvernement) doit approfondir l’enquête et souhaiter la manifestation de la vérité en transférant les dossiers au Cabinet d’instruction.
Toutefois, citoyens haïtiens, ne vous méprenez pas ; tout le monde peut être arrêté injustement. Réfléchissez bien et dites vous… Et si c’était vous qui étiez arrêté et que vous saviez pertinemment que vous êtes innocent et qu’au cours de l’instruction de l’affaire vous auriez déjà entendu que vous êtes un membre actif de gang ? Pensez-y.
John Woosely MORISSET, Av.
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